Wang Xiangzhai 1885-1963 Fondateur du Yi Quan (Da Chen Quan) la Boxe de l'esprit, est un homme qui a voué sa vie à l'étude des arts martiaux. Son œuvre n'est autre qu'une vision révolutionnaire des boxes chinoises au début du XXe. Oublier les formes codifiées pour privilégier la spontanéité et la concentration.
La découverte des arts martiaux par le Xingyi Quan
Né le 26 novembre 1885 dans le village de Weijialin (district de Shen, province du Hebei), sous le nom de Wang Nibao, le futur Wang Xiangzhai se lance dès l'âge de 8 ans dans la pratique des arts martiaux.
Son père, élève du grand maître de Xingyi Quan Guo Yunshen, décide que son fils suivra le même enseignement. L'illustre professeur laisse alors le nouvel élève en position Zhan Zhuang (posture de l'arbre) pendant des heures entières.
S'entraînant dur, le jeune Wang Xiangzhai développe rapidement des capacités exceptionnelles et devient l'un des étudiants préférés de Guo Yunshen. Certaines sources disent qu'à 13 ans, il était déjà capable de tenir tête à des experts accomplis.
Un voyage dans toute la Chine à la découverte des arts martiaux
Son maître décède en 1898, mais Wang poursuit son entraînement dans les arts martiaux. En 1907, il quitte sa terre natale pour s'engager dans l'armée à Pékin. Le général Wu, admirateur de ses capacités martiales , lui offre sa fille en mariage. Cette opportunité permet à Wang d'apprendre à lire et écrire.
Dès 1913, à 22 ans, il est promu directeur de l'Institut de Wushu de l'armée de terre, mais sa passion pour les arts martiaux va le pousser dans une autre direction. En 1918, il se lance ainsi dans un voyage dans toute la Chine : son objectif est d'améliorer ses capacités en combat et mieux connaître les arts martiaux chinois. Il se met en quête de tous les grands maîtres de l'époque et veut comparer ses capacités aux leurs.
Passant par le Henan, le Hunan, le Hubei, le Fujian. Il rencontre de nombreux experts et s'initie à de nombreux arts. Il vit même plusieurs mois dans le temple de Shaolin du Henan. Puis dans le Hunan, il rencontre Xie Tiefu (expert en Boxe de Wundang).
Le Yi Quan, l'essence du combat selon Wang Xiangzhai
Ce dernier arrive à vaincre Wang Xiangzhai, contrairement aux autres experts qu'il a rencontrés, mais admet que Wang est l'adversaire le plus coriace qu'il ait été amené à rencontrer. Les deux hommes sympathisent et Wang reste plusieurs années aux côtés de Xie pour étudier son art.
Par la suite, il rencontre d'autres experts avec dont il devient l'ami ou le professeur. Sa réputation grandit continuellement dans le cercle des maîtres de haut niveau chinois.
Vers 1925, il décide de fonder son style : le Yi Quan, la Boxe de l'esprit. Il n'y a aucune forme prédéterminée, Wang estimant que les arts martiaux de son époque se focalisent trop sur les enchaînements codifiés. Ce qui détruit toute spontanéité d'après lui.
Lui veut retourner à la source : la préparation au combat, le travail de la concentration, et le renforcement de la santé physique et mentale.
Un enseignement ouvert
En 1929, il couche sa conception des arts martiaux sur papier avec le livre "The right path of Yiquan". Cet art n'est alors rien d'autre que la synthèse de ses connaissances et du résultat de ses recherches sur les arts martiaux.
Après avoir vécu à Shanghai une grande partie des années 30, Wang Xiangzhai se rend à Pékin en 1937. Parmi ses meilleurs étudiants vont se trouver Hong Lianshun, Dou Shiming, Li Yongzong, les frères Han (Xingqiao et Xingyuan) et surtout son successeur Yao Zongxun.
En 1939, de nombreux experts viennent à Pékin pour se confronter à l'art martial créé par Wang, mais aucun n'arrive à vaincre ses élèves, en particulier Yao Zongxun. Certaines personnes proposent alors de renommer l'art "Da Cheng Quan", la Boxe du grand accomplissement.
Le terme est encore utilisé aujourd'hui même si Wang Xiangzhai le jugeait présomptueux et que Yao Zongxun décida de lui privilégier le nom d'origine, Yi Quan.
Wang Xiangzhai a rapidement accepté des élèves de tous horizons, estimant que l'art martial ne pouvait être la propriété d'une famille. C'est donc presque logiquement qu'en 1940, sous l'occupation japonaise, il finit par accepter un militaire nippon, Kenichi Sawai (futur fondateur du Taikiken), parmi ses élèves.
Wang Xiangzhai pensait que les arts martiaux traditionnels s'étaient égarés en donnant trop d'importance au travail des formes. Celles-ci, travaillées de manière répétitive, étaient alors vides de sens et d'intérêt, développant au contraire de mauvais réflexes et un manque de créativité chez les pratiquants.
En créant le Yi Quan, Wang a voulu retourner à l'essence même, et travailler à la fois le corps et l'esprit. Cela devait être fait en insistant sur l'importance de la concentration dans chaque geste, dans chaque sensation.
Le but du Yi Quan est d'arriver à une unité corps-esprit du pratiquant, et de manière plus globale, de permettre à ce dernier d'être en harmonie dans son environnement, l'univers. Partant du principe que l'esprit contrôle le corps, l'entraînement se focalise sur le travail de concentration et d'imagination, que ce soit dans les exercices individuels ou à deux.
Intérêt martial et apports thérapeutiques
Dans la famille des arts martiaux chinois, le Yi Quan peut être considéré comme un Nei Quan, c'est à dire un art interne, qui privilégie le développement de l'énergie intérieure (Qi) à celui de la force purement physique. Les exercices et mouvements du Yi Quan sont ainsi particulièrement bénéfiques pour la santé, et recoupent souvent les principes du Qi Gong, art énergétique de la médecine traditionnelle chinoise.
Zhan Zhuang, la posture de l'arbre
La posture de l'arbre est l'exercice de base, le plus emblématique de la pratique. En général, l'entraînement commence toujours pas le maintien d'une des positions de Zhan Zhuang, dont les bénéfices sont multiples : un renforcement général de l'organisme, et un travail de sensibilisation à la force du corps tout entier (zhengti li).
L'art de la spontanéité et de l'alternance yin yang
L'absence de formes (Taolus) est l'autre grande singularité de cet art. Cet aspect permet de mettre l'accent sur la spontanéité et la concentration.
Sans formes, le travail est principalement basé sur la notion de sensation, de travail des principes naturels du yin et du yang. Les pratiquants cherchent à développer leurs réflexes, leur sensibilité et la capacité à utiliser la force de l'adversaire comme la leur.
Le Yi Quan créé par Wang Xiangzhai met en avant le travail de l'esprit avec des exercices comme Zhan Zhuang, les shili (sentir la force) ou le tuishou. Les mouvements ne sont pas aussi nombreux que dans d'autres arts plus anciens, mais la technicité est très subtile, à l'image de ce que l'on peut trouver en boxe anglaise.
D'ailleurs, une grande partie des déplacements et techniques de frappe (Quan Fa) sont inspirées de l'art du combat britannique. Seule la garde, avec ses coudes décollés du corps, s'en distingue clairement ( cette garde typique du Yi Quan est inspirée de la posture de l'arbre).
La majeure partie de l'entraînement (les différents Zhan Zhuang, les jibengong, les shili et le tuishou) vise à développer la force "hun yuan li", c'est à dire la force multi-directionnelle (haut-bas, centre-extérieur, arrière-avant), pour ensuite savoir l'utiliser dans tout type de situations.
Le reste n'est qu'une recherche de spontanéité et de simplicité en combat, ce qui implique un esprit clair et vif (les exercices comme shili, zhan zhuang ou tuishou exigent une concentration intense), d'où le nom de l'art : la boxe de l'esprit.
Selon la méthode originelle léguée par Maître Wang Xiangzhai, la pratique du Yi Quan se divise en plusieurs grands types d'exercices :
Zhan Zhuang gong
Il s'agit du travail de la Posture de l'arbre (appellation en Occident) sous ses différentes variantes. L'une d'elle, Xiuxi Zhuang, est destinée au repos. Il s'agit de la base indispensable pour progresser en Yi Quan, car elle permet de renforcer le corps (elle est utilisée dans un but thérapeutique en Qi Gong, pour renforcer le Qi dans certains arts martiaux), et de se sensibiliser aux différentes forces hun yuan li.
Les postures reprennent toutes des principes à appliquer en exercices de shili et tuishou, à l'exception de xiuxi zhuang, destinée au repos.
On peut séparer les positions en deux grandes catégories : les postures symétriques, particulièrement efficaces pour aider à sentir la circulation du Qi et améliorer la santé, et les postures asymétriques, mieux adaptées à la réalité du combat.
Shili
Le premier caractère signifie essayer, expérimenter, le second signifie la force, la puissance. Il s'agit de mouvements lents, souvent dans le vide, afin de sentir la "force", non pas physique mais universelle (gravité, mécanique...). Cet exercice a pour but d'aider le pratiquant à découvrir tous les petits secrets cachés dans les subtilités de chaque mouvement.
Quand le pratiquant s'y familiarise, il devient de plus en plus apte à solliciter un grand potentiel de force à moindre effort (musculaire), et développe la capacité à déraciner son opposant, à le déstabiliser, ou à lui même se protéger d'une attaque en détournant la force ou en l'absorbant.
Ce type d'exercices se pratique principalement en position statique ou alors peut être couplé à un travail de déplacements, Zoubu.
Les Zoubu
C'est le travail des déplacements du Yi Quan, aussi appelé mocabu . L'objectif des déplacements est à la fois d'avoir des appuis stables (pour pouvoir générer de la force et se protéger d'une poussée) tout en gardant une grande flexibilité et souplesse afin de se mouvoir rapidement.
Les positions du Yi Quan, par rapport à d'autres arts martiaux sont très hautes, pratiquement debout, et les déplacements sont toujours très courts, mais nombreux.
Le déplacement du centre de gravité est la base de tout mouvement, le pratiquant devant toujours garder cette notion d'équilibre à l'esprit. C'est elle par exemple, qui permet d'avorter un déplacement et de retourner en arrière si le besoin s'en fait sentir.
Sur beaucoup de points, les pas du Yi Quan ressemblent à ceux de la boxe anglaise. Le fondateur ne s'est d'ailleurs jamais caché de dire que son art était inspiré de certaines connaissances occidentales.
A un certain niveau, le travail du shili et du zoubu fusionnent car finalement ils sont indissociables.
Fali
Le premier caractère signifie envoyer, l'expression évoque l'explosion de force (littéralement émettre la force). Il s'agit de mobiliser un maximum de puissance pour repousser l'adversaire le plus loin possible.
On le considère parfois comme une sorte de shili à vitesse réelle. Mais la différence entre ces deux composantes de la pratique est claire : shili a pour but d'apprendre à créer un déséquilibre ou une ouverture chez l'adversaire, alors que le fali est l'exploitation de ce déséquilibre ou de cette ouverture.
Dans le tuishou, fali est la finalité si ce travail de poussée avec les mains est abordé dans une optique de confrontation. Dans un combat réel, le fali peut être remplacé par une frappe.
Shisheng
C'est le travail pour tester le son. Il s'agit d'apprendre à mobiliser la force et à la répartir efficacement dans tout le corps lors d'un fali. Il faut unir l'énergie du corps et celle tout autour.
Tuishou
C'est l'exercice de mise en pratique par excellence dans le Yi Quan. Il peut se travailler à une main (pour comprendre comment détourner la force) ou à deux mains, dans une optique plus purement martiale.
L'objectif est de sentir la force, d'apprendre à l'utiliser avec le minimum d'efforts, mais aussi de développer une forte notion d'équilibre, des réflexes défensifs et offensifs pour le combat, et surtout, tester le réalisme de toutes les techniques apprises.
Le meilleur exercice de complément du tuishou est le sanshou , car les deux adversaires entament le combat à distance, contrairement au tuishou où les deux opposants sont en contact physique -ce qui signifie prise d'informations- dès le début.
Un pratiquant qui ne s'exercera qu'au tuishou aura donc tendance à être déstabilisé si son adversaire parvient à maintenir une distance. Le Yi Quan propose également des techniques de frappe avec les poings, pieds ou même mains ouvertes, et certaines écoles comme celle de Maître Yao Chengrong à Pékin travaillent cet aspect sur des sacs de frappes.